Vivre selon La Bible

Vivre selon La Bible

Voilà dix-huit mois, Arnold Jacobs (un new-yorkais) mettait fin à une expérience un peu hors du commun : " vivre conformément aux enseignements de la Bible pendant un an " !
Il s'agissait non seulement de respecter à la lettre les préceptes religieux et moraux les plus évidents, tels ceux concernant le sabbat, le meurtre ou le bœuf de son prochain, mais aussi d'obscures prescriptions, comme celles qu'on trouve dans le Deutéronome (XIV, 23) ("Et tu mangeras devant l'Eternel, ton Dieu, dans le lieu qu'Il choisira pour y faire résider Son Nom [...], les premiers-nés de ton gros et de ton menu bétail") ou les Nombres (XV, 38) ("Dis [aux enfants d'Israël] qu'ils fassent [...] une frange au bord de leurs vêtements").
Jacobs, à qui l'on doit déjà un ouvrage sur la lecture de toute l'Encyclopædia Britannica, assure avoir abordé son projet biblique sans préjugés, le plus sérieusement du monde. Ce Juif agnostique déclaré pouvait-il espérer réussir s'il ne croyait pas vraiment ? En fait, il a fini par croire... un petit peu. Quoi qu'il en soit, après avoir lu et l'Ancien et le Nouveau Testament, il a rédigé une liste de plus de sept cents choses à faire et à ne pas faire. Sa décision initiale d'observer tous ces préceptes s'est vite révélée ridiculement optimiste, si bien qu'il en a choisi certains et en a abandonné d'autres. Plus tard, il a dû encore rectifier le tir pour se concentrer certains jours sur telle ou telle règle. Ce quadragénaire a aussi recruté un conseil consultatif de rabbins, de prêtres et de pasteurs bien disposés. Puis il s'est lancé. Deux do­maines se sont révélés difficiles d'entrée de jeu. "Il a d'abord fallu s'attaquer aux petits péchés que nous commettons chaque jour, explique-t-il. Mentir, convoiter, médire. A New York, c'est ce qu'on fait 60 % de la journée." Le septième jour, il censurait environ un cinquième de ses phrases avant de les prononcer. Il a même découvert un service d'assistance téléphonique dirigé par des juifs orthodoxes de Brooklyn, où les médisants peuvent appeler pour se faire rabrouer.
"Quand j'ai arrêté de dire du mal des gens, j'ai arrêté d'avoir des pensées négatives à leur sujet, assure Jacobs. Ç'a été l'une des plus grandes leçons de cette année : j'avais compris à quel point notre comportement influe sur ce qu'on pense." Même son de cloche quand il a dû relever ce qui était pour lui un défi : prier. Vers la fin de l'année, à force de prières, il a fini par croire en Dieu. Quand il a arrêté de prier, il a cessé de croire. A plusieurs reprises, Jacobs a été étonné de découvrir que d'autres que lui observaient les injonctions les plus ésotériques. Ainsi, un Juif, vérificateur professionnel des fibres mélangées, est venu examiner sa garde-robe au microscope. En effet, il est dit dans le Deutéronome (XXII, 11) : "Tu ne t'habilleras point d'un tissu mélangé, laine et lin ensemble." Il aussi découvert sur Internet qu'il n'était pas le seul à essayer de louanger Dieu sur une harpe à dix cordes. Et il a appris l'existence aux Etats-Unis d'un service chrétien de censure cinématographique qui, dans les films hollywoodiens, coupe tout ce qui pourrait être impie.
Deuxième problème, l'observance de certaines règles aurait conduit à son arrestation : lapider des femmes adultères, sacrifier des bœufs, construire une hutte sur la chaussée. Le plus facile, ce fut encore de ne pas sacrifier son fils au dieu Moloch, tel le roi Moab, et de ne pas prendre pour femme la sœur de son épouse tandis que cette dernière est encore en vie. Jacobs n'a certes pas été un lapideur émérite, même s'il a bien lancé un petit caillou sur un homme, assis sur un banc de jardin public, qui avait reconnu avoir pratiqué l'adultère. En revanche, il a veillé à ne pas toucher sa femme, Julie, pendant qu'elle avait ses règles. Son épouse n'a guère apprécié, comme on peut l'imaginer. Jacobs est allé jusqu'à s'interdire de s'asseoir sur les chaises qu'elle avait utilisées, si bien qu'un jour elle a fini par l'appeler à son travail pour lui dire qu'elle s'était assise sur tous les sièges de l'appartement. Jacobs s'est alors acheté sa propre chaise pliante. Julie, qui n'est pas pieuse non plus, dit qu'elle avait "l'impression d'être une lépreuse".
Il n'a pas non plus été facile de condamner l'homosexualité. Fort opportunément, Jacobs a rencontré un pasteur évangélique gay qui l'a convaincu que Jésus n'aurait rien trouvé à redire à un couple homosexuel moderne. Parallèlement, il a gardé son emploi de rédacteur à Esquire, même si ce magazine flatte chez le lecteur la lubricité, l'envie et la convoitise. Son rédacteur en chef ne lui a pas facilité la tâche : à un moment donné, il l'a envoyé à Hollywood interviewer une jeune actrice particulièrement séduisante, mais qui parlait ouvertement de sa sexualité. "Le soir venu, j'ai dû dire plein de prières", avoue Jacobs. Il a aussi essayé de comprendre les fondamentalistes, il a visité une communauté amish, des juifs orthodoxes, des chrétiens évangéliques. Pour ce qui est des Témoins de Jéhovah, ce sont eux qui lui ont rendu visite, et il est peut-être le seul maître de maison à avoir poussé un témoin de Jéhovah à regarder nerveusement sa montre en marmonnant qu'il allait devoir rentrer. "J'ai commencé l'année en agnostique et je l'ai finie en ‘agnostique révérencieux', pour reprendre la formule d'un ami pasteur, raconte-t-il. Que Dieu existe ou non, aujourd'hui, je crois que le sacré n'est pas une notion vide de sens." Jacobs, qui a été invité à évoquer son expérience devant des groupes chrétiens et juifs, estime que sa vie a été transformée par le concept religieux de gratitude. "Aujourd'hui, au lieu de me focaliser sur les trois ou quatre choses qui se passent mal tous les jours, fait-il valoir, j'essaie de voir les deux cents choses qui se sont bien passées et qu'auparavant je ne remarquais généralement pas." Enfin, il estime qu'il a réduit "de 40 %" sa convoitise, sa médisance et ses mensonges. Voilà qui ressemble diablement à des "pensées orgueilleuses" (épître de Jacques, IV, 16), mais passons.
source : courrier international

260

0

Publié le samedi 31 mai 2008

0 Commentaire

Laissez un commentaire Connectez-vous